Marche incessante, sans bruit, à l’écart de tout. Que ces sentiments disparaissent, pour ne le laisser être que l’ombre de lui-même. Un corps vide de toute âme, une enveloppe sans consistance, ne souffre pas, ne pense pas, ne revit pas. Chaque nuit, chaque jour, voyait se répéter les mêmes gestes dénués de sens. Agir simplement pour agir, survivre pour être comme tout le monde. Pourquoi ? Qu’a donc la vie de si attachant pour que chaque être si raccroche comme un naufragé à sa bouée ? Est-ce du courage ou de la lâcheté de quitter ce monde ? Courage de quitter ses proches, sa vie, ce que l’on connaît, d’abandonner ce que l’on considère comme de plus précieux ? Lâcheté de ne pas continuer à affronter les obstacles, la culpabilité, la mélancolie, ou n’importe laquelle de ces émotions qui détruit sans possibilité de retour ? Qu’est ce que la vie ? Chacun a sa propre réponse, la majorité reste dans le flou. Des centaines de philosophes ont tenté de répondre, nul n’a réussit. Et pourtant, tous, nous cherchons un peu, sans vraiment y penser, à définir ce mot quasi sacré.
Lui, l’adolescent dans le coin là-bas, il était un peu l’ange déchu. Celui à qui le ciel a donné la beauté mais lui a refusé le bonheur. Par souci d’égalité sûrement. Voilà pourquoi, alors que la nuit s’apprête à descendre sur le château, que les douces couleurs orangées du soleil couchant illuminent les couloirs, il marche. Ou plutôt il erre, comme une âme en peine. Alors que lui voudrait simplement ne plus ressentir, oublier, son passé le hante, le trouble, le torture, de la plus douloureuse des manières. Un monstre. Voilà comment il se définirait. Et pourtant, il aurait pu être n’importe qui, avoir une belle famille. Mais le destin en a décidé autrement. Hasard de la vie. Beau jeune homme aux cheveux blonds, aux yeux violets, simplement vêtu d’une chemise du même mauve que ses yeux, et d’un jean moulant, voilà ce que l’image renvoyait le miroir. Mais qu’était-il réellement ? Quelqu’un le connaissait-il assez pour le définir ? Bien sûr que non. Nul n’avait su l’approcher, l’amadouer, dompter son cœur blessé. Pauvre enfant fragile caché dans un corps qui avait grandi trop vite. Pourquoi les autres ne pouvaient le comprendre, accepter cette impossibilité de s’ouvrir ? Pourquoi n’arrivait-il pas à simplement converser avec ceux qui l’abordaient ? Pourquoi se refermer comme une huître ? Chaque douleur, chaque peine, devenait une brique de plus. Et lentement mais sûrement, le mur entre lui et le reste du monde s’épaississait. A l’écart des autres, pour toujours.
Etrange tout de même que tout cela ne l’ait jamais poussé à fumer, à se droguer, à prendre ces potions pour dormir. Mais non, il n’avait pas voulu se réduire à cette extrémité. Cela aurait été s’avouer qu’il n’avait plus rien à perdre. Malgré tout, il ressemblait à toutes ces autres personnes qu’il détestait : il s’accrochait, désespérément. Sans but, sans conviction, sans autre bagage que la culpabilité, il survivait. Car voilà comment il définissait la vie : un voyage. Dont il ne voyait le bout, mais qui surviendrait un jour ou l’autre, sans qu’il l’ait vu arriver. Si il continuait sur ce chemin là, il finirait par consumer cette étincelle qui brûlait en son cœur. Ah ce cœur partagé entre ténèbres et lumière. Cette hésitation le rongeait, le détruisait. Et pourtant, existait-il sur Terre un seul être entièrement noir ou blanc ? Pour Erwan, même ceux qui perpétraient ces crimes ne pouvaient être entièrement mauvais. Cette foi dans le bien, peut-être était-ce la dernière miette de l’enfant de jadis.
Pensait-il à tout ça alors qu’il laissait, comme toujours, ses pas le guider librement à travers le château ? Pas vraiment. Son esprit vagabondait, passait d’idée en idée sans réellement se fixer sur l’apitoiement. Il ne pouvait tout simplement pas se morfondre dans ce coin. Oui, il semblait morne, triste, et il l’était. Mais inconsciemment, il fuyait le malheur, comme si par la seule force de son esprit, il pouvait tout oublier et rire à nouveau, s’ouvrir au monde. Simplement, le Bleu et Bronze ne fonctionnait pas ainsi. Son tempérament solitaire le plaçait en tête de la liste des suspects pour les meurtres terribles perpétrés au sein de Poudlard, que l’on disait imprenable. Et pourtant, ils étaient bien là, tous ces élèves, prisonniers. Ce carnage s’arrêterait-il un jour ? Si oui, quand ? Lorsque chaque adolescent aurait été massacré, torturé ? Le ministère ne se déciderait donc jamais à intervenir ? Des familles devaient bien s’inquiéter du peu de nouvelles de la part de leurs enfants ! Qui étaient leurs bourreaux. Cette question taraudait le jeune homme, qui s’était depuis longtemps réfugié dans sa soif de savoir pour se protéger de la souffrance. Cette énigme insoluble torturait son esprit. Il avait soif de réponses, de connaissances. Sa curiosité le mènerait à sa perte.
Mais ce n’était pas pour cette raison qu’il ne se réfugiait pas dans son lit à la nuit tombée. Il n’avait pas encore assez sombré dans la folie pour partir à la recherche de ceux qui avaient réussi à tuer ses professeurs. Qu’ils aillent au Diable ! Il en avait assez ! Assez de tourner en rond dans les couloirs qu’il connaissait par cœur, de croiser chaque jour les mêmes visages, les mêmes expressions méfiantes et fermées. Son cœur pouvait autrefois se soigner en observant le bonheur des autres. Bien sûr, cela le blessait de ne pas pouvoir rire comme tous ses compagnons, mais ils éclairaient son chemin, lui montraient la route vers un possible bonheur. Maintenant, il se perdait dans les ténèbres d’un monde ingrat, qui ne voulait pas de lui.
Et voilà que ses pas l’éloignaient encore de ces élèves stupides. L’étaient-ils vraiment de le rejeter ? Peut-être méritait-il tout cela ? Pourrait-il un jour connaître l’amour, et pas seulement le désir ? Goûterait-il à cette saveur que l’on disait douce, mais aussi tellement amère ? Aurait-il la chance ce connaître celle qui au lieu d’admirer sa beauté naturelle, son charme, aimerait son âme ? On désirait tellement posséder son être, faire sienne son corps, mais le cœur qui battait derrière les apparences, qui s’en souciait ? Voilà pourquoi inconsciemment, il courrait, dévalait les marches. L’air fouettait son visage brûlant. Son esprit le guidait vers un lieu où nul ne viendrait le déranger, car il faisait peur. Aucun autre inconscient que lui n’aurait osé pénétrer en ce lieu maudit par le nom, par les crimes perpétrés autrefois. Mais lui, que cherchait-il ? Etait-ce la folie, l’inconscience, la douleur qui le menait vers ce lieu corrompu ? Peu importe de toute façon. Il s’arrêta devant la lourde porte, haletant. Et sans qu’il le sache, il était bien plus beau ainsi, apparemment vulnérable, qu’avec son visage fermé. Car il souriait, sans savoir pourquoi, comme si cette longue course avait libéré les sentiments qui manquaient de le détruire. Cela ne suffirait pas pour l’amener à profiter de la vie, mais il allait continuer à vivre, simplement, comme toujours.
Un bruit le mit en alerte. Son charme serait l’artisan de sa perte mais cela, il ne le savait pas encore. La chemise légèrement entrouverte, alors que le bleu de la nuit prenait le pas sur le violet dans son regard, et que son sourire disparaissait, il fouilla l’obscurité du regard. Il oublia de sortir sa baguette, l’inconscient. De toute façon, cela ne lui aurait pas été d’une grande aide…